Portland et ses rues vertes
Au départ de notre réflexion, Portland ne faisait pas partie de nos plans. On imaginait plutôt passer par la Californie. Notre préparation de voyage, en plus de la logistique et des recherches, a consisté à élever notre niveau d’anglais pour préparer nos entretiens. En discutant avec Laura, notre professeur d’anglais qui est originaire de Portland, nous avons été curieux et sommes allés voir ce que cette ville pouvait apporter comme matière à notre voyage. On a été agréablement surpris, car c’est une des villes les plus avancées écologiquement, avec Seattle, des États-Unis. La ville recycle 67 % de ses déchets, avec une collecte individuelle du compost notamment. Elle est citée en exemple par de nombreuses corporations liées à l’urbanisme, et elle est réputée pour contrôler de près le développement et la qualité de son urbanisme.
Un des points qui a attiré notre attention concerne la gestion des eaux. En 1993, la ville a été soumise à une poursuite judiciaire pour violation du « clean water act ».
En réponse à cet évènement, Portland a développé une gestion intégrée des eaux pluviales. Le but étant de contrôler les débordements de stations d’épuration (comme Paris pour les JO et la baignade dans la Seine), de réguler et filtrer les eaux pluviales. Il faut préciser que le climat dans la région est très humide. Il pleut selon les années entre 1000 et 1500 mm, avec une répartition des pluies d’octobre à mai et une période plus sèche de juin à août. C’est cette quantité annuelle de précipitations qui permet aux « rainforests » de se développer.
Le programme envisagé pour cela a consisté en la création de noues paysagères, jardins de pluie et bandes végétalisées le long des rues. Les objectifs à atteindre dans cette démarche étaient (Source: étude québecoise publiée par le ministère des Affaires municipales et de l’aménagement du territoire):
– Réduire le volume de ruissellement de l’eau de pluie dans le système d’égouts,
– Réduire la pollution de l’eau absorbée par la nappe phréatique,
-Réduire la pollution des rivières et des cours d’eau causée par le déversement d’eau de pluie,
-Réduire la fréquence des épisodes d’inondation dans les rues,
– Réduire les coûts liés à la construction de nouveaux réseaux d’égouts.
Les résultats obtenus sont très impressionnants : presque 3000 rues vertes ont été construites ou rénovées depuis 2003.
Pour information, en 2022, la ville comptait 635 067 habitants sur une surface de 376 km², pour une densité de 1687 hab/km². A titre de comparaison, la ville de Nantes c’est 323 204 habitants sur 65 km², pour une densité de 4958 hab/km².
Voici quelques résultats, selon les données de 2012 :
– Réduction de la pointe de crue sur 25 ans : 90 % en moyenne,
– Volume de rétention des débordements d’égouts unitaires : 71 %,
– Réduction du déversement d’eaux pluviales polluées dans le réseau hydrographique de Portland,
– Création de parcs linéaires constituant des aires de circulation sécurisées pour les piétons et les cyclistes,
– Augmentation de la surface des espaces verts urbains,
– Amélioration de la qualité de l’air et réduction des îlots de chaleur,
– Embellissement général de la ville et amélioration de la qualité de vie des citoyens,
– Réduction des coûts liés à la mise à niveau du réseau d’égouts de la ville.
Par exemple, les coûts de remplacement et de rénovation du réseau d’égouts du territoire couvert par le projet Tabor to the River étaient estimés à 144 M$ US. L’adoption d’une approche mixte combinant les infrastructures traditionnelles et les infrastructures vertes a réduit ces coûts de 81 M$ US, sans compter les multiples bénéfices sur le plan environnemental et social. Les cinq projets intégrés de gestion des eaux pluviales prévus dans le budget 2017-2018 – c’est-à-dire combinant le remplacement ou la réparation de tuyaux d’égout et l’implantation de rues vertes ou d’autres infrastructures vertes – présentent un ratio coût-avantage positif, selon les estimations sur cinq ans.
Parfois, on fait dire ce que l’on veut aux chiffres et certains programmes peuvent être enrobés d’un bel emballage vert et biodégradable. Ce n’est pas le cas à Portland: le travail mené est très impressionnant et s’observe dès les premiers pas dans les rues. La quantité de rues traitées est sans commune mesure avec ce que nous avons déjà pu observer. Les citoyens peuvent aussi être acteurs de la végétalisation de la partie publique qui se trouve devant chez eux. Il n’y a pas de consignes esthétiques d’aménagement qui sont données, hormis le fait de conserver la surface perméable. L’ensemble est assez hétérogène mais très harmonieux selon les rues. Le climat océanique de la ville permet à une palette végétale très riche de se développer. Les rues vertes offrent à de nombreux habitants la possibilité d’étendre leur jardin jusqu’à la rue, et il n’est pas rare de voir des petits jardins potagers. Quand on est passant, on circule au travers de ces jardins. Les jardins sur l’espace public étant majoritairement ouverts, la discussion est assez facile avec les habitants des quartiers. La rue où nous logions était elle-même une rue verte, très agréable.
Nous avons arpenté un certain nombres de rues dans différents quartiers et à chaque fois la sensation était la même: on se sentait bien, malgré la circulation et la chaleur. On voyait vraiment la différence quand on passait dans une rue peu végétalisée.
La ville accompagne les particuliers dans l’aménagement et propose une liste adaptée d’arbres à planter dans les différents aménagements. Un travail de recensement des arbres en place au travers d’un SIG (Système d’Information Géographique) en ligne permet d’accéder aux noms et caractéristiques des arbres de la ville.
Nous avons aussi eu la chance de rencontrer deux architectes paysagistes de la ville de Portland avec qui nous avons pu échanger sur ces travaux. Elles nous ont fourni une grosse quantité de données qu’il va falloir que l’on épluche plus en détail pour avoir l’ampleur réelle du travail.
Nous avons passé un mois dans cette ville de Portland. Nous ne sommes pas du tout citadins et nous appréhendions le fait de passer un si long moment sans avoir accès à un bout de nature. Finalement le séjour est passé tout seul, la ville étant très végétale, nous avons réussi à satisfaire nos besoins en chlorophylle. Les gens aussi sont très accueillants, disponibles, et nous avons observé une réelle empathie dans les échanges.
Malgré tous ces bons côtés, il y a un autre aspect de la ville dont nous voulions témoigner. On nous avait prévenu que depuis quelques années, comme dans d’autres grandes métropoles, la présence en grand nombre de personnes en détresse venait ajouter un sentiment de malaise. Elles logent dans des tentes, dans le centre ville, le long des autoroutes et de terrains désaffectés. Dans le cas de Portland, cela a été renforcé par une loi audacieuse datant de 2020, décriminalisant l’usage et la possession de drogues dures. Juste une amende de 100$ qui pouvait être annulée en appelant un numéro d’aide et en s’engageant dans une cure de désintoxication. Tout cela partait d’une bonne intention, pour désengorger les prisons et adopter une politique plus sociale que sécuritaire, au grand dam des républicains. C’était sans compter sur l’apparition des opioïdes de synthèse comme le Fentanyl, qui a des effets ravageurs. En 2024, face aux résultats catastrophiques de cette politique et sous la pression de certains démocrates influents et des républicains, une loi criminalisant à nouveau les drogues dures a été actée pour reprendre en main la situation.
Difficile de dire si les effets sont déjà perceptibles. Nombre d’habitants évitent le centre-ville, nous l’avons nous-mêmes peu fréquenté. On se sent tellement impuissant face à la détresse de ces personnes que l’on ne peut pas circuler et les ignorer. Nous souhaitions par ces quelques photos ne pas les oublier.